Par Claude B.LEVENSON /
http://carpediem.pellnet.ch/claudelevenson/
Newsletter fin septembre 2008
LE TIBET TRINQUE, LES CHINOIS DECHANTENT …
Les nouvelles ont du mal à passer, mais les informations qui filtrent par des sentiers cachés indiquent toutes le durcissement prévisible, la répression et la peur, des heurts parfois. Les images de " J’ai 20 ans et je vis à Lhassa ", passé sur France2, en témoignent à l’envi, la capitale tibétaine vit bel et bien sous une loi martiale qui n’ose pas dire son nom. D’autres sources plus lointaines rapportent que le 24 septembre, au monastère de Kirti dans le comté de Ngaba en Amdo, une cinquantaine de moines se sont fait méchamment tabasser pour avoir osé demander des explications au bureau voisin de la sécurité, après qu’un des leurs, nanti d’un permis de sortie, rentrait au monastère et a été brutalement frappé en passant le barrage policier installé à demeure devant l’enceinte. L’incident s’est soldé par quatre moines à l’hôpital, sérieusement amochés. Voilà qui en dit long sur l’ambiance dans les territoires tibétains, devenus une vaste prison à ciel ouvert dont il n’est pas facile de forcer l’entrée.
Les civils ne sont guère mieux traités que la communauté monastique. En ville, que ce soit Lhassa ou Shigatsé, voire du côté de Siling ou Tsétang, les quartiers tibétains sont sous haute surveillance, couvre-feu imposable et imposé à la moindre apparence d’incartade. Dans les campagnes, les manoeuvres militaires succèdent aux mouvements de troupes – à telle enseigne que quelques rares journalistes qui tentent l’aventure n’hésitent pas à comparer la situation sur place à celle prévalant dans des " zones de guerre ". Et malgré les obstacles accumulés, un reporter de la BBC rapportait le 25 septembre que des Tibétains dans le sud du Gansu expliquaient la récente flambée de protestations par le ras-le-bol d’être continuellement opprimés, la volonté de respect de leurs droits fondamentaux bafoués, et leur espoir déterminé d’un retour du dalaï-lama. Sans doute cela n’a-t-il rien à voir, mais la terre continue régulièrement de trembler du côté de l’Himalaya.
Dans le même temps, les Tibétains de l’exil se retrouvent à Dharamsala pour une vaste consultation en une réunion extraordinaire afin de tenter de faire le point six mois après les événements de Lhassa et avant une nouvelle rencontre, prévue en principe pour octobre, entre émissaires du Dalaï-Lama et représentants officiels chinois. Peu d’illusions à ce sujet, mais la lancinante question de comment trouver le moyen de résoudre cette quadrature du cercle, le régime chinois ayant relancé une vigoureuse campagne de " rééducation patriotique " tous azimuts dans l’ensemble du territoire tibétain, parallèlement à une campagne non moins virulente en direction de l’étranger contre le Dalaï-Lama sur lequel il déverse des tombereaux d’injures.
Un nouveau " Livre blanc "
Comme si cela ne suffisait pas à dessiller des regards décidément délibérément aveugles, la Chine publie à grand renfort de publicité sur la toile un nouveau " Livre blanc " sur la protection et le développement de la culture tibétaine. Une lecture édifiante, vivement recommandée à quiconque n’est pas encore familier de la langue de bois chinoise.
De toute manière, il est toujours bon de connaître le point de vue adverse. Ce nouvel opuscule vise explicitement à " réfuter les critiques sur le prétendu génocide culturel au Tibet. "
De 10h36 le 25 septembre à 16h13, les affirmations officielles se succèdent, chiffres et exemples à l’appui : le patrimoine culturel du Tibet est efficacement protégé ; la création artistique et littéraire au Tibet est entrée dans une époque très favorable ; la Chine respecte la liberté des croyances religieuses des Tibétains ; l’apprentissage, l’emploi et le développement du tibétain sont garantis par la loi ; les us et coutumes du peuple tibétain sont respectés et protégés ; l’enseignement du tibétain est généralisé au Tibet ; le tibétain est utilisé au cours des actions en justice ; le standard international de la codification du tibétain a été approuvé ; la Chine assure une protection convenable des monastères et temples, des reliques et des monuments historiques ; pour s’achever à 17h03 sur un péremptoire " la proclamation ‘d’autonomie culturelle du Tibet’ avancée par le 14e dalaï-lama est un complot politique. "
Qui donc en douterait ?
Passons sur le langage qui renvoie à plein nez celui de l’époque de la révolution culturelle de sinistre mémoire pour relever une observation tout à fait secondaire, même si à la réflexion, elle peut sembler révélatrice. Sur le site " Les nouvelles à travers la Chine et le monde " (agence officielle Xinhua) où l’on récolte toutes ces perles, sur la page à 14h10 résumant le contenu dudit livre blanc, dans la marge gauche apparaît une petite photo ainsi légendée : " Hu Jintao appelle au développement de l’APL " (Armée populaire de libération) et dessous, un cliché montrant la rencontre de Yang Jiechi et Condolezza Rice. Les pages suivantes, de 15h13 à la dernière, s’ornent de deux photos de Wen Jiabao, le premier ministre (face avenante du gouvernement, celui qui s’excuse des scandales et prend soin du sort des victimes) réaffirmant sur fond de tribune des Nations unies " l’engagement de la Chine au développement pacifique " et appelant au " renforcement des relations sino-américaines ". Voir malice dans cette succession d’illustrations relève sans nul doute d’un mauvais esprit.
En revanche, sur un autre site, le ton change, et un espoir, ténu comme tous les espoirs, renaît : une Chinoise, professeur à l’Académie cinématographique de Pékin, s’interroge publiquement sur sa réaction face au scandale du lait frelaté : " Que puis-je dire ? Que pouvons-nous dire ? Suis-je en train d’attendre que d’autres disent ce qui n’a pas été dit ? En regardant autour de moi, je vois nombre d’amis piégés comme moi dans le silence. Aussi tourmentés, sans voix. Ou bien sommes-nous trop choqués pour parler ? " Suit une analyse percutante sur le silence imposé, l’impuissance d’agir dans le contexte de ce régime. Et l’interrogation cardinale pour conclure : " Parler ou ne pas parler, telle est la question. C’est une question difficile adressée à notre jugement. Mais ce que nous avons perdu, c’est notre capacité de poser des jugements moraux fondamentaux. " Le jour où la Chine s’éveillera…
Et juste pour finir, un post-scriptum au récent poème de Woeser, trouvé un peu plus tard que son texte sur le site Ragged Banner Press, cette intrépide au grand coeur qui n’a pas froid aux yeux, qui se permet d’insister : " Ce fut mon plus bref séjour à Lhassa, et je n’ai pas eu d’autre choix sinon partir. Mais il y a encore quelque chose que je veux dire : Vous avez les fusils. J’ai une plume. " Tout est dit. Hommage à cette flamme de liberté.
mailto :
claude.levenson@gmail.com
LF